Stratégies de l'UE pour réduire la dépendance à la Chine face aux approches américaines : entre résilience et protectionnisme
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Publié le : 15 octobre 2025 / Mis à jour le : 15 octobre 2025 – Auteur : Konrad Wolfenstein
Stratégies de l'UE pour réduire la dépendance à la Chine face aux approches américaines : entre résilience et protectionnisme – Image : Xpert.Digital
Dérisquer ou découpler ? Loin de la Chine : la voie douce de l'Europe – ou faut-il copier les États-Unis ?
Une tentative continentale de libération : les entreprises de l’UE peuvent-elles suivre l’exemple américain ou l’Europe a-t-elle besoin d’une voie différente ?
La réalité géopolitique du XXIe siècle confronte les États-Unis et l'UE à un problème commun : leur dépendance économique à l'égard de la Chine. Si les deux puissances économiques poursuivent des objectifs similaires – réduire leurs vulnérabilités stratégiques et renforcer leur propre assise économique –, leurs approches diffèrent fondamentalement en termes de méthodologie, de portée et d'orientation philosophique. Cette analyse comparative approfondie examine deux stratégies fondamentalement différentes pour relever l'un des plus grands défis de politique économique de notre époque.
Convient à:
La fracture transatlantique : deux continents, deux philosophies
Le point commun fondamental entre les États-Unis et l'UE réside dans la reconnaissance du fait que la stratégie de mondialisation antérieure a engendré des dépendances unilatérales, sources de risques économiques et sécuritaires. Ces dernières années, les deux espaces économiques ont reconnu que le système capitaliste d'État chinois et sa politique étrangère de plus en plus affirmée nécessitent un réalignement stratégique. Tous deux poursuivent l'objectif primordial de renforcer la résilience de leurs économies et de sécuriser les technologies et les chaînes d'approvisionnement critiques.
Les chevauchements sont évidents dans plusieurs domaines : tous deux se concentrent sur la diversification des chaînes d’approvisionnement, le renforcement des capacités de production nationales dans les secteurs critiques et le développement de partenariats commerciaux alternatifs. Les États-Unis et l’UE ont tous deux lancé de vastes programmes de promotion des industries stratégiques ; la loi américaine CHIPS a son pendant européen, la loi européenne sur les puces électroniques. Tous deux reconnaissent l’importance de la recherche et du développement pour la compétitivité à long terme et investissent massivement dans les technologies d’avenir.
Néanmoins, des divergences initiales apparaissent déjà dans l'analyse du problème. Alors que les États-Unis considèrent principalement la Chine comme un rival systémique et une menace militaire potentielle, l'UE continue de considérer la République populaire comme un partenaire complexe, à la fois concurrent et rival systémique. Ces perceptions divergentes de la menace façonnent fondamentalement leurs stratégies respectives.
Stratégies américaines : la frappe de libération à trois volets
La réponse américaine à la dépendance à la Chine se manifeste par une approche cohérente en trois volets, qui s'appuie sur une intervention gouvernementale massive. Elle repose sur une combinaison de délocalisations de proximité, de reshoring et de friendshoring, soutenue par des investissements sans précédent dans l'industrie nationale.
Convient à:
Délocalisation
L'objectif est de relocaliser les capacités de production vers des pays géographiquement proches, notamment le Mexique. Entre janvier 2023 et août 2024, plus de 400 projets d'investissement, pour un volume total de 170 milliards de dollars, ont été annoncés. Cette stratégie s'appuie sur les accords commerciaux existants, tels que l'AEUMC, et bénéficie de coûts de transport réduits et de la proximité culturelle.
Relocalisation
vise à relocaliser des industries d'importance stratégique aux États-Unis. La loi CHIPS and Science Act, dotée de 280 milliards de dollars, vise à multiplier par cinq la production de semi-conducteurs aux États-Unis. Des programmes similaires existent pour la technologie des batteries, les terres rares et d'autres matériaux critiques. Cette stratégie accepte délibérément des coûts plus élevés au profit d'un contrôle total des capacités de production stratégiques.
Friendshoring
Établit des relations commerciales préférentielles avec des partenaires et alliés démocratiques. Cette stratégie va au-delà des relations purement économiques et intègre des valeurs et des intérêts stratégiques communs. Des partenaires comme la Corée du Sud, le Japon et l'Australie bénéficient d'un traitement préférentiel grâce à des accords spécifiques.
La stratégie américaine se caractérise par sa rapidité, son ampleur et son approche unilatérale. Les éléments protectionnistes sont non seulement acceptés, mais considérés comme des instruments nécessaires à la sécurité nationale. Des droits de douane allant jusqu'à 100 % sur les véhicules électriques chinois et des subventions massives aux industries nationales illustrent cette approche.
Convient à:
Stratégies de l'UE : régulation, intégration et autonomie stratégique
La réponse européenne au défi chinois suit un paradigme fondamentalement différent. Plutôt que de s'appuyer sur des mesures unilatérales, l'UE privilégie une approche multilatérale fondée sur trois piliers : l'intégration du marché intérieur, le leadership réglementaire et la diversification des partenariats.
Intégration du marché intérieur
est au cœur de la stratégie européenne. La nouvelle stratégie pour le marché unique de l'UE à l'horizon 2025 vise à développer l'espace économique, qui compte 450 millions de consommateurs et 26 millions d'entreprises, pour en faire un lieu encore plus attractif. Cette stratégie identifie dix obstacles majeurs pour les entreprises et propose des solutions concrètes. La promotion de la coopération transfrontalière et l'amélioration des possibilités de financement des entreprises revêtent une importance particulière.
Leadership réglementaire
Cela se traduit par des législations innovantes telles que la loi sur les matières premières critiques, la directive européenne sur la chaîne d'approvisionnement et diverses réglementations en matière de cybersécurité. La loi sur les matières premières critiques fixe des objectifs ambitieux pour 2030 : au moins 10 % des matières premières stratégiques doivent être extraites dans l'UE, 40 % doivent être transformées et 25 % doivent être recyclées. Parallèlement, la dépendance à l'égard de certains pays tiers doit être limitée à un maximum de 65 %.
Des partenariats diversifiés
Les partenariats incluent à la fois des alliés traditionnels et de nouveaux partenaires en Afrique, en Asie et en Amérique latine. L'UE privilégie une stratégie de « shoring » à la stratégie américaine de « friend-shoring », plus pragmatique et moins idéologique. Les partenariats se construisent sur la base de la complémentarité économique et de la stabilité politique, et non principalement sur des valeurs partagées.
L'approche européenne met l'accent sur la durabilité, la sécurité juridique et la coopération multilatérale. La réduction des risques est privilégiée au découplage afin de maintenir des relations commerciales importantes tout en réduisant les vulnérabilités.
Les atouts américains : rapidité et détermination
La stratégie américaine impressionne par sa clarté et sa rapidité de mise en œuvre. La loi CHIPS est passée de son annonce à son adoption en quelques mois et produit déjà des résultats mesurables. Des investissements dans la production américaine de semi-conducteurs d'une valeur de plus de 200 milliards de dollars ont été annoncés entre 2021 et 2024.
Le poids financier de l'approche américaine est impressionnant. La loi sur la réduction de l'inflation prévoit à elle seule 370 milliards de dollars pour les énergies propres, tandis que la loi CHIPS mobilise 280 milliards de dollars supplémentaires. Ces sommes dépassent largement celles des programmes européens comparables et permettent de réorienter les flux d'investissement mondiaux.
Les avantages géographiques des États-Unis sont considérables. L'accord USMCA crée un marché nord-américain intégré de plus de 500 millions de consommateurs. Le Mexique a déjà dépassé la Chine comme premier partenaire commercial des États-Unis, démontrant ainsi l'efficacité de la stratégie de délocalisation de proximité.
La capacité des États-Unis à agir unilatéralement permet des ajustements rapides et des signaux clairs aux marchés et aux partenaires. Alors que l'UE requiert des processus de coordination complexes entre ses 27 États membres, les États-Unis peuvent mettre en œuvre de nouvelles politiques commerciales en quelques semaines.
Faiblesses américaines : coûts et isolement
La stratégie américaine a des coûts importants. La relocalisation entraîne une hausse significative des coûts de production, qui incombe en définitive aux consommateurs américains. Des études montrent que les coûts de production dans l'industrie des semi-conducteurs aux États-Unis sont de 35 à 50 % supérieurs à ceux de l'Asie.
La pénurie de travailleurs qualifiés représente une contrainte critique. L'industrie américaine des semi-conducteurs aura besoin d'un million de travailleurs qualifiés supplémentaires d'ici 2030, dont seule une fraction est actuellement disponible. Des goulots d'étranglement similaires existent dans d'autres secteurs stratégiques.
Les aspects protectionnistes de la stratégie américaine mettent en péril les relations commerciales multilatérales. Les droits de douane élevés et les clauses « Buy American » entraînent des conflits commerciaux avec les alliés et peuvent entraîner des mesures de rétorsion. L'OMC a déjà critiqué plusieurs mesures américaines, les jugeant contraires au droit commercial.
La viabilité politique de la stratégie américaine est sujette à caution. Les changements d'administration peuvent entraîner des changements politiques fondamentaux, compliquant les décisions d'investissement à long terme et minant la crédibilité auprès des partenaires internationaux.
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Lentement mais fort : l'avantage de l'Europe sur les États-Unis
Les atouts européens : durabilité et légitimité
La stratégie européenne se caractérise par sa durabilité et sa légitimité multilatérale. Le marché unique de l'UE, avec ses règles uniformes et sa sécurité juridique, demeure attractif pour les investisseurs internationaux. Des études montrent que les États-Unis dépendent désormais davantage des importations de l'UE que des approvisionnements chinois, ce qui souligne l'importance du marché européen.
Le leadership réglementaire de l'UE établit des normes mondiales. Des lois telles que le RGPD, la loi sur les marchés numériques et la loi sur les matières premières critiques sont copiées dans le monde entier, créant un « effet Bruxelles » qui confère aux normes européennes une validité internationale.
La stratégie de partenariat diversifiée de l'UE réduit la dépendance plus efficacement que les mesures unilatérales. Les partenariats avec des pays comme le Vietnam, l'Inde et divers États africains créent des chaînes d'approvisionnement alternatives sans les coûts élevés de la relocalisation.
L'UE possède une expérience unique en matière d'intégration d'économies et de systèmes juridiques diversifiés. Cette expertise s'avère précieuse pour établir de nouveaux partenariats et façonner les règles du commerce international.
L'accent mis par l'Europe sur la durabilité et les normes sociales crée des avantages concurrentiels à long terme. Alors que les subventions américaines peuvent engendrer des distorsions temporaires, l'UE met en place des structures permanentes pour une croissance durable.
Convient à:
Faiblesses européennes : lenteur et fragmentation
La complexité des structures décisionnelles de l'UE entraîne des retards importants dans la mise en œuvre des politiques. Alors que les États-Unis ont adopté la loi CHIPS en quelques mois, la loi européenne sur les puces électroniques a mis plusieurs années entre son annonce initiale et son adoption définitive.
La capacité budgétaire limitée de l'UE par rapport aux États-Unis constitue une faiblesse structurelle. Le budget de l'UE représente moins de 1 % du PIB des États membres, tandis que le gouvernement fédéral américain dispose de ressources directes nettement supérieures.
Les divergences d'intérêts nationaux au sein de l'UE compliquent l'élaboration d'une stratégie cohérente face à la Chine. Alors que l'Allemagne mise sur le commerce, la France et l'Italie privilégient des mesures protectionnistes. Cette fragmentation affaiblit la position de négociation face à la Chine et aux autres partenaires.
La dépendance de l'UE aux garanties de sécurité extérieures, notamment celles de l'OTAN, limite son autonomie stratégique. En situation de crise, les intérêts européens doivent être mis en balance avec les priorités de la politique de sécurité américaine.
La base industrielle européenne est moins développée que celle des États-Unis dans des domaines critiques. En particulier dans la production de semi-conducteurs et les technologies de défense, elle accuse un retard important qui ne peut être rattrapé à court terme.
Scénarios d'application réussis de l'approche américaine
L'approche américaine s'avère supérieure dans les situations exigeant des réponses rapides et décisives, où la sécurité nationale prime sur l'efficacité économique. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs stratégiques tels que les semi-conducteurs, les technologies de défense et les infrastructures critiques.
L'approche américaine porte déjà ses fruits dans la production de semi-conducteurs. Les investissements majeurs de TSMC, Samsung et Intel dans les installations de production américaines permettront de multiplier par cinq les capacités nationales d'ici 2030. Cette stratégie est particulièrement efficace car les États-Unis disposent à la fois des meilleures entreprises de conception de puces et de l'infrastructure technologique nécessaire.
En période de crise géopolitique, l'approche américaine offre une plus grande flexibilité. Pendant la pandémie de COVID-19, le Defense Production Act a permis aux États-Unis de mobiliser rapidement des capacités de production pour des biens essentiels. Des mécanismes similaires permettent de réagir rapidement aux crises internationales.
L'approche américaine est particulièrement adaptée aux marchés dotés de leaders technologiques incontestés. Dans des domaines tels que l'intelligence artificielle, les voyages spatiaux et les biotechnologies avancées, des investissements publics massifs peuvent étendre les avantages existants et en créer de nouveaux.
La stratégie américaine fonctionne bien dans les secteurs à rendement d'échelle élevé et à faible intensité de main-d'œuvre. L'automatisation des installations de production peut compenser les désavantages en termes de coûts par une productivité accrue, tandis que les coûts de transport élevés rendent la délocalisation de proximité attractive.
Scénarios d'application réussis de l'approche de l'UE
L'approche européenne démontre ses atouts dans les situations qui exigent stabilité à long terme, légitimité et développement durable. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs complexes et fortement réglementés, ainsi que face aux défis mondiaux.
L'approche européenne offre des avantages évidents pour le développement de technologies durables. Le Pacte vert pour l'Europe et les programmes d'investissement associés créent un cadre cohérent pour la décarbonation de l'économie. Des entreprises allemandes comme Siemens Energy et Orsted sont déjà des leaders mondiaux de l'éolien offshore.
L'approche européenne est supérieure pour façonner les normes mondiales. Le RGPD a façonné les normes mondiales de protection des données, tandis que le Digital Markets Act influence le comportement des entreprises technologiques mondiales. Ce pouvoir réglementaire crée des avantages concurrentiels durables sans le coût de subventions directes.
Dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre et aux chaînes d'approvisionnement complexes, l'approche européenne est plus rentable. La directive européenne sur la chaîne d'approvisionnement instaure des normes uniformes en matière de droits humains et de protection de l'environnement, offrant ainsi aux entreprises européennes un avantage concurrentiel sur les marchés exigeants en matière de qualité.
L'approche européenne s'avère plus efficace pour développer des partenariats avec les économies émergentes. L'Initiative Global Gateway mobilise jusqu'à 300 milliards d'euros pour des investissements dans les infrastructures en Afrique et en Asie, sans les contraintes politiques des programmes américains.
L'approche européenne offre un meilleur soutien aux petites et moyennes entreprises. Le Réseau Entreprise Europe et divers programmes de financement de l'UE facilitent l'accès des PME aux nouveaux marchés et aux nouvelles technologies sans les rendre dépendantes des grandes entreprises.
Stratégies complémentaires dans un monde multipolaire
L'analyse comparative montre que les deux approches présentent des atouts et des faiblesses spécifiques et sont adaptées à des défis différents. L'approche américaine offre rapidité et détermination pour répondre aux priorités stratégiques, tandis que l'approche européenne offre durabilité et légitimité face aux défis complexes et à long terme.
Pour les entreprises européennes, cela signifie que copier simplement la stratégie américaine n'est ni possible ni souhaitable. Les réalités structurelles européennes – des structures décisionnelles complexes aux capacités budgétaires limitées – exigent une approche spécifique. Parallèlement, certains éléments de la stratégie américaine peuvent être adaptés et intégrés au contexte européen.
Le renforcement du marché unique demeure essentiel pour l'UE, mais peut être complété par des mesures protectionnistes sélectives dans des domaines critiques. Le leadership réglementaire doit être renforcé pour établir des normes mondiales et lutter contre les pratiques déloyales. Les partenariats doivent être conçus de manière plus stratégique, sans pour autant compromettre l'ouverture du modèle européen.
En définitive, l'analyse montre que dans un monde multipolaire, différents modèles peuvent et doivent coexister. Les approches américaine et européenne ne sont pas nécessairement concurrentes, mais peuvent se compléter dans de nombreux domaines. Le défi consiste à exploiter leurs atouts respectifs tout en surmontant leurs faiblesses structurelles. Pour l'UE, cela implique de tracer sa propre voie, adaptée aux réalités et aux valeurs européennes spécifiques, sans ignorer les enseignements de l'expérience américaine.
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