La quantité prime sur la qualité : pourquoi les drones ukrainiens à 500 $ surpassent les armes de haute technologie américaines
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Publié le : 27 octobre 2025 / Mis à jour le : 27 octobre 2025 – Auteur : Konrad Wolfenstein
La quantité prime sur la qualité : pourquoi les drones ukrainiens à 500 $ surpassent les armes high-tech américaines – Image : Xpert.Digital
La débâcle du couteau à cran d'arrêt : la coûteuse leçon apprise par l'Occident en Ukraine
L'armée de garage : comment le pragmatisme ukrainien met à nu une industrie d'armement de plusieurs milliards de dollars
L'échec spectaculaire des drones américains Switchblade sur le champ de bataille ukrainien ne se résume pas à une simple défaillance technique. Il révèle un changement fondamental dans la logique économique de la guerre moderne, un changement qui aura des conséquences considérables sur l'industrie mondiale de la défense, les stratégies d'approvisionnement des gouvernements et l'équilibre des forces entre les puissances militaires établies et les acteurs agiles des conflits. L'article de Focus décrit un phénomène qui ébranle les fondements de l'économie de la défense, établie depuis des décennies, et inaugure une ère nouvelle où l'excellence technologique, mais plutôt la disponibilité, l'adaptabilité et la rentabilité, ne détermineront plus le succès ou l'échec.
Convient à:
L'anatomie d'une défaillance systémique
Lorsqu'une cargaison de drones américains Switchblade 300 est arrivée en Ukraine en 2022, les attentes étaient tout aussi élevées. Ces systèmes étaient considérés comme l'incarnation même des armes de précision modernes, développés par AeroVironment, un important sous-traitant de la défense fort de plusieurs décennies d'expérience. Les Switchblades s'étaient révélés indispensables aux forces spéciales en Afghanistan et en Irak. Ils incarnaient le paradigme de la défense occidentale des dernières décennies : haute qualité, précision, technologie supérieure et, par conséquent, coût élevé.
La réalité sur le sol ukrainien, cependant, était désolante. Avec un coût unitaire compris entre 60 000 et 80 000 dollars, le Switchblade-300 s'est révélé totalement incapable de gérer les conditions d'un conflit de haute intensité. Les systèmes de guerre électronique russes ont gravement perturbé ces systèmes. La petite ogive, à peine de la taille d'une grenade de 40 millimètres, s'est révélée inefficace contre des cibles même faiblement protégées. Valery Borovyk, développeur de drones ukrainien, rapporte des tests au cours desquels un drone Switchblade a heurté la lunette arrière d'un minibus, sans même briser les vitres avant. Un verdict accablant pour un système d'arme qui coûte plus de 100 fois le prix d'un drone FPV ukrainien.
Cet échec n'est cependant pas principalement technique, mais plutôt économique et conceptuel. Le Switchblade a été développé pour une mission en contradiction fondamentale avec les réalités du conflit ukrainien. Il a été développé à une époque de guerre asymétrique, où les forces armées occidentales opéraient contre des adversaires technologiquement inférieurs et pouvaient se permettre des frappes de précision contre des cibles individuelles de grande valeur. L'Ukraine, quant à elle, fait face à un adversaire de taille, doté de contre-mesures électroniques sophistiquées et d'une stratégie de guerre privilégiant la quantité à la qualité.
La révolution économique de la fabrication de drones
La réponse de l'Ukraine à ce défi représente une réorientation fondamentale de son économie de la défense. En moins de trois ans, l'Ukraine a créé une industrie des drones inégalée en termes de volume de production et de rapidité d'innovation. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : d'une modeste production de 1 200 drones en 2022, le pays a porté sa production à 415 000 unités en 2023 et a atteint le cap impressionnant de 1,7 million de drones en 2024. Pour 2025, le gouvernement ukrainien vise une production de 4,5 millions de drones à vue subjective, accompagnés de plus de 385 000 systèmes de guerre électronique.
Cette mise à l'échelle sans précédent repose sur une philosophie de fabrication radicalement différente de celle des entreprises de défense occidentales. Dès ses débuts, l'industrie ukrainienne des drones a mis l'accent sur la minimisation des coûts, la modularité et la rapidité des cycles d'itération. La fabrication d'un drone FPV ukrainien moyen coûte environ 500 dollars. Le Blyskavka, un drone à voilure fixe inspiré du Molniya russe, est construit avec les matériaux les moins chers du marché et ne coûte que 800 dollars l'unité. Il peut néanmoins transporter huit kilogrammes d'explosifs sur une distance de 40 kilomètres. Comparé aux 60 000 et 80 000 dollars du Switchblade-300, cela représente un rapport coût/efficacité de 120:1 et 75:1 respectivement.
L'importance économique de cette différence de coût n'apparaît véritablement qu'en comparant les sommes investies. Les États-Unis ont dépensé entre 42 et 56 millions de dollars pour environ 700 drones Switchblade, qui se sont révélés largement inefficaces. Pour le même montant, entre 84 000 et 112 000 drones FPV ukrainiens auraient pu être acquis, soit une quantité 120 à 160 fois supérieure. Ce simple calcul révèle la supériorité économique fondamentale de l'approche ukrainienne dans un conflit où la simple disponibilité des systèmes d'armes détermine le succès ou l'échec.
Le paradigme de la guerre axée sur la disponibilité
Le conflit russo-ukrainien a établi un nouveau paradigme de guerre, qu'Eduard Lysenko, du département des technologies de défense de l'État Brave-1, décrit avec justesse par la métaphore d'une BMW et de la Škoda Octavia. Une BMW est peut-être plus rapide et plus confortable, mais s'il s'agit de fournir une voiture à tous, la Škoda représente le choix économiquement rationnel. Cette analogie est au cœur de la nouvelle économie de la défense : dans un conflit de haute intensité, ce n'est pas la perfection technique du système individuel qui compte, mais la capacité à fournir des quantités suffisantes de systèmes déployables.
La Russie a rapidement compris ce problème et poursuit une stratégie de « spam » par drones, utilisant massivement des drones pour submerger les systèmes de défense. Les chiffres sont impressionnants : alors que la Russie déployait environ 250 drones FPV par jour en mars et avril 2024, ce nombre atteint désormais 1 000 à 1 200 unités par jour, avec des pics à environ 30 000 drones en août. De tels volumes ne peuvent être contrés ni militairement ni économiquement par des systèmes occidentaux coûteux.
Les conséquences de cette guerre axée sur la disponibilité sont dramatiques. Viktor Dolgopiatov, directeur de Burevii, un bureau d'études pour systèmes terrestres sans pilote, rapporte qu'un drone terrestre moyen en Ukraine a une durée de vie d'une semaine seulement. Multipliée par les plus de 2 000 kilomètres de front, l'ampleur de cette consommation devient évidente. Les systèmes terrestres occidentaux, qui coûtent des centaines de milliers de dollars, ne peuvent être utilisés économiquement dans ce contexte, alors que leurs homologues ukrainiens sont disponibles pour 10 000 à 20 000 dollars.
Les déficiences structurelles de l'industrie de défense occidentale
L'échec des drones Switchblade est symptomatique de problèmes structurels plus profonds au sein de l'industrie de défense occidentale. Cette industrie s'est développée au fil des décennies dans un environnement caractérisé par une poignée de clients majeurs – principalement des ministères de la Défense – et de longs cycles de développement. Les structures incitatives de ce système privilégient non pas la minimisation des coûts et l'adaptabilité rapide, mais plutôt la maximisation de la complexité et des coûts de développement et de production associés.
Selon une étude du Pentagone de 2023, les entreprises de défense traditionnelles affichent des marges bénéficiaires de 7 à 9 % de leur chiffre d'affaires. Compte tenu des volumes de production limités et des coûts élevés de recherche et développement, l'industrie s'appuie sur la maximisation des prix unitaires. Cela crée un cercle vicieux : plus un système est complexe et coûteux, moins il est possible d'en acquérir, ce qui se traduit par des coûts unitaires plus élevés. Des critiques, comme l'ingénieur principal de Blyskavka, accusent les concurrents occidentaux de privilégier des produits surdimensionnés générant d'énormes marges bénéficiaires pour justifier de faibles volumes de production et des coûts de recherche et développement élevés.
Ce problème est exacerbé par les cycles d'approvisionnement extrêmement longs de l'industrie de défense occidentale. Alors que les entreprises technologiques commerciales commercialisent leurs produits en quelques mois, les programmes militaires prennent souvent des années, voire des décennies. Le programme F-35 de Lockheed Martin, par exemple, accuse plus de dix ans de retard et affiche un dépassement de budget de 165 milliards de dollars. En 2024, tous les avions de combat F-35 livrés ont été livrés avec un retard moyen de 238 jours. Cette inertie est de plus en plus problématique dans un environnement technologique en constante évolution.
Un autre problème structurel réside dans la capacité d'innovation limitée des entreprises de défense établies. Bien que ces entreprises aient amélioré leurs marges bénéficiaires et leurs flux de trésorerie entre 2010 et 2019, la part des dépenses consacrées à la recherche et développement internes et aux investissements en capital a diminué. Au contraire, les distributions aux actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d'actions ont augmenté de 73 %. Cette focalisation sur le rendement à court terme pour les actionnaires se fait au détriment de l'innovation et de l'adaptabilité à long terme.
Convient à:
Le moteur d’innovation ukrainien et sa recette du succès
À l'opposé du modèle occidental, l'industrie ukrainienne des technologies de défense constitue un exemple impressionnant d'innovation accélérée dans des conditions extrêmes. Le programme Brave1, financé par l'État et lancé en avril 2023, agit comme catalyseur de cet écosystème d'innovation. Doté d'un budget équivalent à 39 millions de dollars pour 2024, Brave1 a enregistré plus de 3 500 développements, en a codifié plus de 260 selon les normes de l'OTAN et a accordé plus de 470 subventions pour un total de 1,3 milliard d'UAH.
La recette du succès de l'industrie ukrainienne des drones repose sur plusieurs piliers. Premièrement, la proximité entre développeurs et utilisateurs finaux. Les fabricants de drones testent leurs produits non pas dans des environnements stériles de laboratoire, mais en conditions de combat réelles. Les retours des soldats de première ligne sont intégrés aux améliorations des produits en quelques jours, et non en mois ou en années. Une telle rapidité d'itération est inaccessible aux entreprises de défense occidentales, qui doivent se soumettre à des processus d'approbation et de certification rigoureux.
Deuxièmement, l'Ukraine a toujours privilégié la localisation et la substitution des importations. Si les composants chinois dominaient au début du conflit, environ 70 % des composants sont désormais produits localement par des fabricants leaders comme Vyriy. Des start-up ukrainiennes comme Odd Systems produisent des caméras thermiques pour 250 dollars, soit 20 % moins chères que leurs équivalentes chinoises et spécifiquement adaptées aux besoins des opérateurs de drones FPV. Cette indépendance vis-à-vis des chaînes d'approvisionnement étrangères, qui peuvent être perturbées par des décisions politiques – comme les restrictions chinoises à l'exportation de composants de drones – constitue un avantage stratégique.
Troisièmement, le modèle ukrainien se caractérise par une remarquable flexibilité en termes de cadencement de production. La capacité de production mensuelle de drones FPV est passée de 20 000 unités en janvier 2024 à 200 000 en décembre de la même année, soit une multiplication par dix en un an. L'objectif pour fin 2025 est une production mensuelle de plus de 500 000 drones FPV, soit une multiplication par 25 par rapport au niveau de référence. Cette évolutivité est sans équivalent dans l'industrie de la défense traditionnelle.
Quatrièmement, l'Ukraine a inversé le transfert technologique classique du secteur militaire vers le secteur civil. Au lieu d'adapter des technologies militaires coûteuses à des applications commerciales, des technologies commerciales ont été réaffectées à un usage militaire. Cette approche minimise les coûts et les délais de développement en exploitant les technologies existantes. Les critiques soulignent qu'une grande partie de ces technologies est facilement reproductible, ce qui remet en question leur viabilité économique à long terme. À court terme, cependant, cette approche permet une réactivité sans précédent face à l'évolution des scénarios de menace.
La guerre électronique comme égalisateur technologique
L'un des principaux facteurs de l'échec des systèmes occidentaux coûteux en Ukraine est la guerre électronique intensive menée par les deux camps. La Russie déploie un nombre considérable de dispositifs de brouillage fonctionnant dans des bandes de fréquences allant de 400 à 1 100 mégahertz, ainsi que 2,4 et 5,8 gigahertz – précisément les fréquences utilisées par de nombreux systèmes de drones occidentaux. Les conséquences sont dévastatrices : les drones perdent le contact avec leurs opérateurs, les signaux GPS sont brouillés ou falsifiés, et les transmissions vidéo sont interrompues.
Le Switchblade-300 s'est révélé particulièrement vulnérable à ces contre-mesures électroniques. En conditions de brouillage, des dysfonctionnements se sont produits, rendant les drones inutilisables. Bien qu'AeroVironment ait depuis développé une version améliorée, utilisée avec un succès relatif dans des conditions de brouillage limitées, le problème fondamental demeure : un système coûtant entre 60 000 et 80 000 dollars, neutralisé par un brouilleur à 1 000 dollars, ne constitue pas une solution commercialement viable.
La réponse ukrainienne à ce défi est multiforme. D'une part, les drones à fibre optique sont de plus en plus utilisés, connectés à l'opérateur par un câble physique et donc insensibles aux interférences radio. Bien que leur portée soit limitée par la connexion par câble, ces systèmes restent opérationnels dans des environnements très perturbés. D'autre part, les fabricants ukrainiens investissent massivement dans des systèmes de guidage de terminaux assistés par l'IA, qui permettent aux drones de voler de manière autonome vers leur cible, même après une perte de connexion avec l'opérateur.
Des entreprises comme l'allemand Helsing, qui a livré 1 950 drones kamikazes HF-1 équipés d'IA à l'Ukraine et produit actuellement 6 000 autres drones HX-2, illustrent l'orientation du développement technologique. Ces systèmes peuvent verrouiller des cibles et rester bloqués dans le spectre électromagnétique malgré toutes les contre-mesures ennemies. La différence fondamentale avec les développements occidentaux : ces capacités sont mises en œuvre dans des systèmes productifs en série et nettement plus rentables que les systèmes d'armes occidentaux traditionnels.
La dynamique d'investissement et ses implications
Les flux d'investissement dans le secteur ukrainien des technologies de défense ont connu une accélération spectaculaire ces dernières années. Alors qu'environ 90 millions de dollars ont été injectés dans les entreprises ukrainiennes de technologies de défense via la plateforme Brave1 en 2024, plus de 100 millions de dollars d'engagements d'investissement ont été annoncés lors du sommet Defense Tech Valley en septembre 2025. Le montant moyen d'investissement par transaction est passé de 300 000 à 1 million de dollars, témoignant de la maturité et de l'attractivité croissantes du secteur.
Il convient de souligner en particulier l'engagement de l'Union européenne à allouer sept milliards de dollars, issus des revenus d'intérêts sur les avoirs russes gelés, à l'industrie ukrainienne des drones. Cette somme dépasse largement les investissements antérieurs et pourrait permettre à l'industrie ukrainienne d'accroître encore sa capacité de production déjà impressionnante. Le président Zelensky a déclaré que l'Ukraine avait la capacité de produire huit millions de drones par an, mais manquait de financement. Les fonds européens annoncés pourraient combler ce déficit.
Il est intéressant de noter que malgré ces investissements, environ 40 % de la capacité de production de drones ukrainienne reste inutilisée. Cela reflète le dilemme central de l'industrie de défense ukrainienne : si l'expertise technologique et l'infrastructure de production existent, les ressources financières nécessaires pour les exploiter pleinement font défaut. Les États occidentaux de l'OTAN augmentent actuellement leurs dépenses de défense à 5 % du produit intérieur brut, dont 3,5 % sont consacrés à la défense. Cependant, une part importante de ces investissements continue d'affluer vers des entreprises de défense européennes et américaines qui produisent des technologies inadaptées aux défis de la guerre en Ukraine.
Cette mauvaise allocation des ressources a des implications stratégiques considérables. Alors que les gouvernements occidentaux investissent des milliards dans des systèmes d'armes potentiellement obsolètes, une industrie éprouvée, rentable et hautement évolutive reste chroniquement sous-financée. L'irrationalité économique de cette situation est évidente, mais elle est perpétuée par des facteurs politiques : la politique industrielle nationale, les préoccupations en matière de sécurité de l'emploi et les structures de lobbying établies.
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Convient à:
Un succès trompeur : les risques du modèle de drone ukrainien
Risques et limites du modèle ukrainien
Malgré tout l'enthousiasme suscité par les succès ukrainiens, les risques et les limites inhérents à ce modèle ne peuvent être ignorés. Les investissements dans l'industrie ukrainienne des drones comportent des risques importants. Le pays offre une faible protection de la propriété intellectuelle, l'État de droit est discutable et les exportations d'armes sont largement restreintes en temps de guerre. Ces facteurs dissuadent les investisseurs institutionnels, qui recherchent la sécurité de planification et la certitude juridique.
La viabilité à long terme de l'industrie ukrainienne des drones est également sujette à caution. Comme indiqué précédemment, une grande partie de la technologie développée est facilement reproductible. L'Ukraine bénéficie actuellement d'un monopole naturel en tant que laboratoire d'essai de technologies militaires en conditions de combat réelles. Si le conflit prenait fin, cette position concurrentielle unique pourrait être perdue. D'autres pays, principalement la Chine, mais aussi les pays occidentaux, pourraient utiliser les connaissances acquises pour développer leurs propres capacités de production et neutraliser l'avantage concurrentiel de l'Ukraine.
Un autre problème structurel est l'extrême dépendance aux composants chinois. Malgré les efforts de localisation, l'Ukraine achetait encore 89 % de ses importations de drones en valeur auprès de Chine au premier semestre 2024. Près de 97 % des fabricants ukrainiens de drones identifient la Chine comme leur principale source d'approvisionnement. Cette dépendance représente une vulnérabilité stratégique que la Chine pourrait exploiter à tout moment. Dès 2024 et 2025, Pékin a imposé des restrictions à l'exportation de composants de drones tels que les contrôleurs de vol, les moteurs et les caméras de navigation, ce qui a eu un impact significatif sur la production ukrainienne.
La question de l'évolutivité au-delà de l'économie de guerre reste également ouverte. L'industrie ukrainienne des drones évolue dans un contexte de forte demande et de soutien gouvernemental. Les entreprises peuvent tester leurs produits immédiatement sur le front et recevoir un retour d'information immédiat. Ces conditions ne sont pas reproductibles en temps de paix. Il est incertain que le modèle ukrainien reste compétitif dans un contexte de marché normal.
Convient à:
Les implications stratégiques pour la politique de défense occidentale
Les leçons tirées du conflit ukrainien remettent en question les hypothèses fondamentales de la politique de défense occidentale. Pendant des décennies, la stratégie militaire occidentale s'est appuyée sur la conviction que la supériorité technologique pouvait compenser l'infériorité quantitative. Des systèmes d'armes de haute qualité et précis étaient censés permettre de l'emporter face à des adversaires numériquement supérieurs et moins nombreux. Le conflit ukrainien démontre les limites de cette doctrine.
Dans un conflit de haute intensité, face à un adversaire de taille, doté de contre-mesures électroniques sophistiquées et de ses propres capacités de production, le modèle occidental, axé sur les prix, s'avère intenable. La simple disponibilité des systèmes d'armes devient alors le facteur décisif. Un système performant, mais disponible en quantités limitées, est pénalisé par un système suffisamment performant et disponible en grandes quantités.
Cette prise de conscience a de profondes conséquences sur les stratégies d'approvisionnement. Les ministères de la Défense occidentaux doivent abandonner leur obsession de l'excellence technique et privilégier la disponibilité, la rentabilité et la rapidité d'exécution. Cela ne signifie pas que les technologies de pointe deviennent obsolètes : des systèmes complexes et coûteux demeurent essentiels pour certaines capacités telles que la défense antimissile stratégique, la lutte anti-sous-marine ou les opérations spatiales. Cependant, pour la plupart des opérations tactiques de première ligne, de nouveaux modèles d'approvisionnement doivent être développés.
Certains acteurs occidentaux ont déjà intégré cette leçon. En octobre 2025, le secrétaire américain à la Défense, Dan Driscoll, a annoncé une réforme fondamentale du système d'approvisionnement et une réduction de la dépendance aux grands sous-traitants de la défense. L'armée adoptera une approche à la Silicon Valley, combinant capital-risque et mentorat avec une culture de start-up. Les achats ne se mesureront plus en années et en milliards, mais en mois et en milliers. Le système qui a freiné l'armée pendant des décennies et enrichi les premiers ministres sera complètement démantelé.
Cependant, ces belles paroles ne se sont pas encore traduites en actions concrètes. Les incitations structurelles du complexe militaro-industriel continuent de favoriser les grandes entreprises établies. Les petites entreprises innovantes peinent à décrocher des contrats, faute de relations établies, de certifications et de capacités de production. Le récent accord de plusieurs milliards de dollars conclu entre l'armée américaine et AeroVironment pour les drones Switchblade 300 et Switchblade 600, prévu pour août 2024, démontre la persistance des modèles d'approvisionnement traditionnels.
La réorganisation mondiale de l'industrie de la défense
Le conflit ukrainien catalyse une réorganisation de l'industrie mondiale de la défense, dont les contours ne se précisent que progressivement. La distinction traditionnelle entre développement technologique commercial et militaire s'estompe. Des entreprises comme Anduril et Helsing, originaires respectivement de la Silicon Valley et du secteur technologique européen, introduisent des pratiques de développement commercial – méthodes agiles, cycles d'itération rapides et orientation utilisateur – dans le secteur de la défense.
Parallèlement, de nouveaux pôles d'innovation en matière de défense émergent au-delà des centres traditionnels. L'Ukraine se positionne comme un laboratoire mondial de technologies militaires et tente de transformer ce rôle temporaire en base industrielle permanente. Le président Zelensky a annoncé en septembre 2025 que l'Ukraine assouplirait ses restrictions à l'exportation d'armes. Interdites par la loi martiale depuis 2022, les exportations contrôlées seront désormais autorisées, notamment pour les drones maritimes et autres systèmes éprouvés. Cela pourrait faire de l'Ukraine un exportateur d'armes majeur, dont l'argument de vente unique réside dans les essais au combat de ces systèmes.
Les puissances de défense établies répondent à ce défi de différentes manières. L'Allemagne, la France et le Royaume-Uni intensifient leur coopération avec les fabricants ukrainiens de drones, en partie par des investissements et en partie par des coentreprises de production conjointe. Quantum Systems, une entreprise allemande qui fabrique des drones de reconnaissance, a établi très tôt une présence locale en Ukraine et bénéficie désormais de sa proximité avec le marché. Rheinmetall, BAE Systems, Thales, KNDS et Kongsberg Defence & Aerospace prévoient de créer des coentreprises avec des fabricants ukrainiens, selon des documents gouvernementaux ukrainiens.
Ces collaborations pourraient conduire à un transfert partiel de technologie de l'Ukraine vers l'Occident – un renversement historique de la tendance habituelle. Les entreprises et les armées occidentales pourraient grandement bénéficier d'un recours accru à l'expertise ukrainienne en matière de drones, comme le souligne Valery Borovyk. Son conseil aux entreprises de défense est clair : celles qui ne s'engagent pas activement dans la guerre en Ukraine aujourd'hui seront condamnées à la faillite demain.
Le double jeu de la Chine : fournisseur, observateur et menace stratégique
La Chine joue un rôle paradoxal dans cette réorganisation mondiale. D'un côté, elle est le fournisseur indispensable de composants pour la production de drones ukrainienne et, de plus en plus, russe. La grande majorité des drones utilisés en Ukraine et en Russie sont équipés de puces, de moteurs, de caméras et de batteries chinois. Cette double dépendance confère à Pékin une influence stratégique considérable, qu'elle exerce également, comme le démontrent les restrictions d'exportation de 2024 et 2025.
D'autre part, la Chine bénéficie énormément de l'apprentissage technologique mis en œuvre dans le cadre du conflit ukrainien. Les observateurs chinois étudient attentivement les enseignements tactiques tirés de la guerre des drones, de la guerre électronique et de la production de masse de systèmes militaires. Ces connaissances sont intégrées à la doctrine militaire et à la planification de l'armement chinoises. Sa capacité industrielle étant bien supérieure à celle de l'Ukraine, la Chine pourrait être capable de produire des drones en plus grand nombre en cas de conflit.
La dépendance de l'Occident à l'égard des composants chinois pour ses systèmes de défense pose un dilemme stratégique quasi insurmontable. D'une part, les composants chinois sont souvent inégalés en termes de prix et de disponibilité, ce qui rend leur intégration dans les systèmes d'armes occidentaux et alliés attractive. D'autre part, cette dépendance crée des vulnérabilités potentiellement catastrophiques en cas de conflit, par exemple à Taïwan. Des efforts sont en cours pour diversifier les chaînes d'approvisionnement et renforcer les capacités de production nationales de composants critiques, mais ils sont longs et coûteux.
Transformation systémique ou phénomène temporaire
La question centrale est de savoir si les phénomènes observés dans le conflit ukrainien représentent une transformation systémique durable de la guerre et de l'économie de la défense, ou s'il s'agit d'un phénomène temporaire et contextuel. Plusieurs facteurs laissent présager une évolution durable. La démocratisation de la technologie militaire par le biais de composants commerciaux est irréversible. La disponibilité des drones, des composants électroniques et des systèmes d'IA sur le marché commercial permet même aux plus petits acteurs de développer des systèmes d'armes relativement puissants.
La prolifération de ces technologies modifie fondamentalement le paysage stratégique. Le président Zelensky a averti, lors de son discours à l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2025, que des dizaines de milliers de personnes pourraient désormais être tuées professionnellement grâce à des drones. Autrefois coûteux et complexes, les drones étaient réservés aux pays les plus puissants. Aujourd'hui, même des drones simples peuvent parcourir des milliers de kilomètres. Cette évolution, a-t-il déclaré, constitue la course aux armements la plus destructrice de l'histoire de l'humanité.
Parallèlement, certains facteurs militent contre une transformation radicale. Pour certaines capacités militaires – bombardiers stratégiques, porte-avions, sous-marins lanceurs d'engins, chasseurs de supériorité aérienne –, il n'existe pas d'alternative économique et massive. La domination dans ces domaines continue d'assurer la supériorité militaire des grandes puissances. Le conflit ukrainien est également atypique à plusieurs égards : il s'agit d'un conflit de haute intensité entre des adversaires égaux, dotés d'une ligne de front distincte et d'un déploiement matériel massif. De nombreux autres scénarios de conflit – contre-insurrection, imposition de la paix, interventions limitées – pourraient imposer des exigences technologiques différentes.
Néanmoins, les faits indiquent un changement fondamental. La disponibilité devient la nouvelle monnaie d'échange de la puissance militaire. La capacité à développer rapidement, produire en masse et améliorer continuellement les systèmes d'armes prime sur la supériorité technique des plateformes individuelles. Cela favorise les acteurs dotés de structures de production flexibles et décentralisées et de processus décisionnels courts, au détriment de systèmes bureaucratiques lourds.
Conséquences de la politique économique et recommandations d'action
Les évolutions décrites nécessitent de profonds ajustements des politiques économiques et de défense occidentales. Premièrement, les processus d'approvisionnement doivent être radicalement accélérés. Les cycles de développement pluriannuels ne sont plus tenables dans le contexte technologique actuel. Il est désormais nécessaire d'adopter des modèles de développement itératifs, partant de versions fonctionnelles minimales et les améliorant continuellement. Cela exige de renoncer au perfectionnisme et d'accepter les risques et les échecs occasionnels.
Deuxièmement, il est nécessaire de promouvoir la diversification de la base de fournisseurs. La concentration sur quelques grandes entreprises engendre une certaine rigidité et limite le potentiel d'innovation. Les petites entreprises agiles doivent être systématiquement intégrées aux processus d'achat, même si cela implique des efforts administratifs supplémentaires. Le recours accru à des instruments d'achat alternatifs, tels que les « Autres autorités de transaction » aux États-Unis, constitue un pas dans la bonne direction.
Troisièmement, la nouvelle réalité exige des investissements massifs dans les capacités de production nationales de composants critiques. La dépendance aux chaînes d'approvisionnement chinoises doit être réduite, même si cela entraîne des coûts plus élevés à court terme. L'initiative de l'UE visant à renforcer la production européenne de semi-conducteurs est un exemple de ces politiques industrielles stratégiques. Des programmes similaires sont nécessaires pour les batteries, les capteurs et d'autres composants clés.
Quatrièmement, les gouvernements occidentaux devraient systématiquement renforcer leur coopération avec l'industrie de défense ukrainienne. L'Ukraine offre non seulement des technologies éprouvées au combat, mais aussi de précieuses connaissances en matière de guerre moderne. Les coentreprises, les transferts de technologies et les programmes de recherche conjoints peuvent aider les armées occidentales à suivre le rythme. L'annonce par l'UE d'un investissement de 7 milliards de dollars pour l'industrie ukrainienne des drones constitue une étape importante, mais elle doit s'accompagner d'un transfert systématique de connaissances.
Cinquièmement, il est nécessaire d'investir dans la formation et le développement de la doctrine. Les nouvelles technologies requièrent de nouveaux concepts tactiques et formats opérationnels. Les forces armées doivent apprendre à gérer des masses de systèmes jetables, à maîtriser la guerre électronique et à mener des opérations décentralisées en réseau. Cela nécessite une restructuration complète de la formation, de l'organisation et du commandement.
Convient à:
Les leçons irréversibles de la guerre des drones
La déception suscitée par les drones américains Switchblade en Ukraine est bien plus qu'une anecdote technique. Elle symbolise l'échec d'un paradigme vieux de plusieurs décennies qui privilégiait l'excellence technologique à la disponibilité, la complexité à la simplicité et la maximisation des coûts à la rentabilité. L'industrie de défense ukrainienne a développé un modèle alternatif avec une rapidité remarquable, fondé sur la masse, l'adaptabilité et des cycles d'itération rapides. Ce modèle s'avère supérieur dans le contexte d'un conflit de haute intensité.
Les implications stratégiques et économiques de ce changement sont profondes. Les entreprises de défense établies sont contraintes de repenser en profondeur leurs modèles économiques. Les gouvernements doivent adapter leurs stratégies d'approvisionnement et investir dans de nouvelles capacités industrielles. L'équilibre mondial des forces bascule en faveur des acteurs capables d'apprendre et de s'adapter plus rapidement. Une boîte de Pandore de technologies militaires bon marché et productibles en masse s'est ouverte. Toute armée non préparée risque d'être submergée par ce développement.
L'avertissement de Valery Borovyk à l'industrie de l'armement est urgent : personne au monde ne sait quelles menaces nous attendent, ni un seul analyste, ni un seul général. Quiconque ne s'intéresse pas activement à la guerre en Ukraine aujourd'hui court à la faillite demain. Cette affirmation s'applique non seulement aux entreprises, mais aussi aux États et à leurs stratégies de défense dans leur ensemble. Il est impératif de tirer les leçons de la guerre en Ukraine avant qu'il ne soit trop tard. L'alternative est d'être confronté lors du prochain conflit à des systèmes hors de prix et insuffisamment disponibles, tandis que les adversaires submergent de masses bon marché. L'économie de la guerre moderne a fondamentalement changé. Ceux qui l'ignorent le font à leurs risques et périls.
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